L'Heure des femmes

Un bel hommage rendu par sa petite fille à Ménie Grégoire avec cette biographie romancée. Ménie s’appelle en réalité Marie, mais elle a choisi ce prénom qui était celui d’une combattante de la Vendée pour se différencier de sa mère très distante. A l’approche de la cinquantaine, elle est une grande bourgeoise, mariée à un haut fonctionnaire proche conseiller de Pompidou, ses filles sont grandes. Elle donne des réceptions très courues qui rassemblent le gratin parisien des lettres, des arts ou de la politique et écrit quelques chroniques pour des journaux féminins. Le directeur de RTL lui propose de participer à une émission, puis d’en créer une où elle donne la parole aux femmes. Elle devient la dame de coeur à qui de nombreuses femmes écrivent pour lui confier leurs problèmes qui sont traités à l’antenne. La condition féminine est difficile dans les années 1960, les femmes ignorent beaucoup choses, dont le fonctionnement de leur corps, et n’ont pas beaucoup de droit. Ménie dénonce les violences qu’elles subissent, les maternités non choisies, la misère économique de la classe ouvrière. L’émission remporte immédiatement un très grand succès et aura une grande longévité, même si Ménie dérange dans son milieu, mais peu lui importe, sa mission avant tout.

Dans ce roman, nous suivons quatre femmes, d’une part Ménie, mais aussi Mireille, Suzanne et Esther. Mireille a six enfants à trente ans, dont les deux derniers ont dix mois de différence, elle est épuisée par une vie peu épanouissante et finit par tomber malade. Lors de son hospitalisation, une infirmière lui fait découvrir l’émission de Ménie et sa vie commence peu à peu à changer. Sa soeur Suzanne travaille à Paris comme bonne, elle est enceinte, mais son fiancé l’abandonne. Ménie vient à son secours.

Esther est une femme contemporaine, elle fuit un partenaire violent et une amie éditrice lui propose de rassembler des documents sur Ménie Grégoire pour un portrait. C’est la révélation et la jeune femme prend conscience de ce qui ne va pas dans sa vie. Cette partie est beaucoup moins réussie que celle consacrées au passé. L’histoire d’Esther tombe comme un cheveu sur la soupe, on a l’impression d’un ajout « à la mode », il y aurait eu d’autres manières de dire que la situation des femmes aujourd’hui n’est pas encore pleinement satisfaisante.

J’ai lu ce roman en version audio, très réussie avec deux narratrices, Françoise Cadol et Clémentine Domptail, chacune interprétant l’époque de Ménie ou celle d’Esther. J’apprécie ce procédé qui donne vie au roman et le rend encore plus immersif. Des extraits des vraies lettres adressées à Ménie sont lues dans le livre et on ne peut qu’être touché de la détresse de ces femmes. Les narratrices savent nous transmettre l’émotion des auditrices.

J’ai été frappé par l’ignorance de ces femmes, qui ne savaient même pas comment on tombait enceinte. Les médecins ne les informent pas le plus souvent et les femmes des milieux ouvriers sont souvent maltraitées. Elles subissent des violences sexuelles et économiques. Certains hommes acceptent de s’ouvrir à d’autres perspectives, comme le mari de Mireille, lui-même très ignorant mais aimant et plein de bonne volonté. Mais la grande majorité rechigne à perde son pouvoir de domination. Il n’y a pas que la classe ouvrière qui opprime les femmes, même si c’est nettement plus subtil dans le milieu bourgeois. Les puissants n’apprécient pas le combat de Ménie et son mari en payera le prix. Même si l’égalité n’est pas encore réalisée, on a fait d’immenses progrès depuis cinquante ans.

Un beau roman qui nous rappelle la mémoire d’un grande dame dont on a trop oublié l’action. Merci à Netgalley et Audible pur leur confiance.