Si c'est un homme
  • Date de parution 06/04/2017
  • Nombre de pages 328
  • Poids de l’article 330 gr
  • ISBN-13 9782221199831
  • Editeur ROBERT LAFFONT
  • Format 218 x 138 mm
  • Edition Grand format
Italie Biographies, Mémoires Romans étrangers

Si c'est un homme

4.49 / 5 (9205 notes des lecteurs Babelio)

Résumé éditeur

" Si la géographie des bourreaux a permis l'extermination de millions d'êtres humains, il ne reste d'elle que ruines et musées. À l'opposé, la géographie du texte de Si c'est un homme ne cesse de vivre et de vivre encore, à mesure que des mains de lecteurs se saisissent du livre, et le lisent, s'en saisiront dans le futur et le liront, géographie donc ô combien vivante, innervée, nourrie, palpitante, humaine. Humaine parce que jamais le texte ne parle d'autre chose, même en creux, que d'humanité. C'est l'humanité qui s'enfuit. C'est l'humanité que l'on malmène. C'est l'humanité que l'on broie comme un grain dans un mortier. C'est l'humanité que l'on nie. C'est l'humanité que l'on tente d'effacer, mais c'est l'humanité qui demeure. Elle demeure dans la voix de Primo Levi qui ne cède que rarement à la colère et qui fait le choix d'une description posée des faits, des actes, des lieux, des états et des sentiments. Exempt de hargne, vide de rage et d'esprit de vengeance, le récit accueille les ombres, les silhouettes, les visages, les souffrances de ceux dont "la vie est courte mais le nombre infini'. " Philippe Claudel

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  • Date de parution 06/04/2017
  • Nombre de pages 328
  • Poids de l’article 330 gr
  • ISBN-13 9782221199831
  • Editeur ROBERT LAFFONT
  • Format 218 x 138 mm
  • Edition Grand format

l’avis des lecteurs

L’horreur de l’Holocauste a donné lieu à une littérature abondante, traversée par un questionnement douloureux et récurrent sur la possibilité et la manière d’exprimer l’indicible, faute de pouvoir véritablement faire partager cette expérience. On retrouve souvent, chez ceux qui s’y sont essayé, une volonté commune d’éviter toute digression et tout pathos. L’événement, dans toute son absurde cruauté, échappe en effet à l’analyse, et la transcription brute des faits, par ceux qui, jour après jour, les ont vécus, est sans doute la façon la plus juste, la plus éloquente, d’en rendre l’ignominie.

Telle est aussi la démarche de Primo Levi avec ce témoignage.

Fin 1943, il est fait prisonnier par la Milice fasciste. Il a alors vingt-quatre ans, il est juif, et vient de rejoindre dans la clandestinité quelques amis aussi peu expérimentés que lui, pour mettre sur pied un groupe de partisans affiliés à Giustizia e Libertà, principal mouvement de résistance antifasciste. Il est envoyé à Auschwitz avec une centaines de ses compatriotes. Ils seront à peine une poignée à revenir.

Il restitue, a posteriori, le long cauchemar qui débute avec le voyage dans un wagon surpeuplé où succombent déjà les plus fragiles, la première sélection dès l’arrivée à Auschwitz, où en un instant disparaissent femmes, enfants, parents, puis évoque sa condition de Häftling (détenu), sous le numéro 174 517, ainsi que son processus d’intégration dans cet univers nouveau, grotesque et dérisoire qu’est le Lager (le camp).

Le rythme est vite établi : sortir pour aller travailler dans des conditions physiques et climatiques terribles, fouettés par le terrible vent des Carpates, rentrer, dormir et manger, tomber malade, guérir ou mourir. On vit au jour le jour, sans perspective hormis celle de survivre jusqu’au lendemain, en subissant la faim, la fatigue et la crasse (d’une ampleur telle qu’il faudrait de nouveaux mots pour les définir), les nuits peuplées d’insomnies alternant avec d’interminables cauchemars, la promiscuité et la terreur créant une insoutenable tension morale et nerveuse. Le moindre désagrément physique prend des proportions démesurées. 

La lutte implacable pour la vie, accompagnée d’une désespérante solitude, induit l’apprentissage de combines souvent risquées : trocs pitoyables pour gagner un bout de pain dur, stratagèmes compliqués pour obtenir une chemise pas trop déchirée ou être admis à l’infirmerie, vigilance permanente pour ne pas se faire voler ses chaussures…

La survie est aussi morale. Dans cet univers où la multitude de langues limite les interactions, et où parler d’avant est de fait proscrit, certains petits gestes, qui peuvent sembler vains -comme s’obstiner à se laver chaque jour, sans savon, dans l’eau trouble d’un immonde lavabo-, n’ont pour but que de conserver quelque dignité, de contrer l’absurdité de la monstrueuse machine à créer des bêtes. 

Car l’un des buts des SS est de nier leur humanité à ces hommes, en les humiliant, en les ravalant au niveau d’une foule anonyme, en les plongeant dans un dénuement et une déchéance qui privent chacun de sa singularité, de son identité, de son amour-propre. En leur imposant une justice arbitraire et des règles absurdes. En les plongeant dans une déchéance physique qui fait d’eux des êtres ridicules et répugnants, décharnés et nauséabonds.

Et en effet, Primo Levi constate la disparition des habitudes et des instincts sociaux sous la pression harcelante des besoins et d'une souffrance physique qui empêche même de penser. Quand l’oppression dépasse un certain stade, il n’y a plus de solidarité. Réduits à leur douleur et à l’assouvissement de leurs besoins vitaux, les hommes deviennent violents, âpres à conserver la moindre chose -photo, lettre ou mouchoir- qui leur appartient et les rattache à leur condition d’individu. 

Les gardiens eux-mêmes, d’ailleurs, sont davantage décrits comme éléments d’une entité qu’en tant qu’êtres singuliers. Car le Lager est la matérialisation d’un système, d’une entreprise d’extermination conçue par la haine, mais réalisée avec une froideur méthodique. 

Dans cette lutte, il n’y a plus parmi les détenus ni bons ni méchants. En revanche, l’auteur établit une distinction entre ceux qu’ils nomment les damnés et les élus qui, parce qu’ils sont mieux lotis (et ce sont rarement des juifs), ou plus forts, plus malins, sont susceptibles, par des chemins multiples et imprévisibles, toujours épineux, de trouver "le salut". Les autres, quantité négligeable d’une masse que l’absence de valeur rend plus facile à éliminer, se laissent glisser, vides et silencieux, vers la fin.

Lui-même n’est pas de l’étoffe de ceux qui résistent. Il s’épuise au travail, il est trop humain, il pense trop… sa chance est d’être chimiste, statut qui lui permet d’échouer au laboratoire du camp où, à l'abri du froid, il peut par ailleurs améliorer son quotidien en volant quelques marchandises. Et il a gardé, tenace, la volonté de voir en lui-même et ses camarades, des hommes et non des choses, ce qui lui a évité le naufrage spirituel. C’est ce même souhait acharné qui le pousse à témoigner. 

Il le fait sans se référer à des chiffres, sans évoquer les mécanismes des chambres à gaz ou des fours crématoires car ce sont des données qu’il ne connaissait pas quand il était au Lager. Le but est de replonger dans le présent d’alors, de son expérience, de l’horreur, dans toute sa nudité. Et ce qu’il veut mettre en avant, ce sont les valeurs fondamentales, sinon toujours positives, qui l’ont préservé du délitement total, les rencontres qui lui ont permis de garder la tête droite. Lui-même rend leur identité à quelques-unes des figures broyées dans ce cauchemar de l’Histoire, dotant cette foule d’anonymes de quelques visages qui la ré-humanise. Ainsi la petite Emilia, trois ans, curieuse, gaie et intelligente, exterminée dès son arrivée car inutile jeune âge et nuisible car juive… Schmulek , qui avant de partir à la douche pour n’en jamais revenir, lui laisse sa cuillère et son couteau… Lorenzo, à qui il doit de n’avoir pas oublié que lui aussi était un homme grâce à sa seule présence, sa façon simple et facile d'être bon, non contaminé par la barbarie… 

Un texte nécessaire.

"Le sentiment de notre existence dépend pour une bonne part du regard que les autres portent sur nous : aussi peut-on qualifier de non humaine l’expérience de qui a vécu des jours où l’homme a été un objet aux yeux de l’homme".


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