Prisonnier du rêve écarlate

Ce grand roman-destin s'ouvre sur le projet d'un documentaire : un cinéaste demande au narrateur de le guider à travers la Russie ravagée par le capitalisme mafieux des années 90. Le but est de rencontrer les communistes européens venus en URSS à l'époque de Staline, et piégés par le régime. Le titre du film, "Les prisonniers du rêve écarlate", annonce l’idée du scénario : railler ces « cocus de l’Histoire ».  Pourtant, ce mépris se heurte à la foi sincère d'un jeune communiste français, Lucien Baert, dont le journal posthume retrace la vie. Fils d'un ancien poilu, Lucien découvre enfin le pays de ses rêves lors d’un voyage organisé en URSS en 39. Il comprend vite sur place  que le paradis sur terre est un pur décor. Le voile se déchire quand, dans une gare, il apprend la signature d’un traité entre Hitler et Staline. Séparé de ses compagnons, il est emprisonné comme espion et envoyé dans un camp de travail, au fin fond de la taïga de l'Oural. Dans ce bagne, son terrible sort est atténué par le sentiment de fraternité qu'il éprouve au milieu des hommes broyés par la vie mais infiniment plus vrais que les "comédiens" exhibés à Moscou en guise de "bâtisseurs de la société future".  Par manque de soldats, les autorités soviétiques l'envoient au front, où il se battra contre les nazis au sein d'une unité disciplinaire. S’emparant des papiers d’un de ses camarades tué, le voici devenu Matveï Bélov. Gravement blessé et arrêté par les Allemands, il est récupéré par les Soviétiques et accusé de trahison. Son second séjour dans les camps et les tortures qu’il y subit lui feront perdre la mémoire. Une fois libéré en 57, il entreprend une longue marche à travers la taïga du grand Nord, ne sachant plus qui il est véritablement.  C’est la rencontre avec Daria qui lui rendra ses souvenirs et son identité perdue. Il sauve cette femme d’un viol et ces deux âmes meurtries vivent un amour patient au milieu du calme souverain de la nature, pénétrées du sens profond de la beauté. Et c’est Daria qui, après plusieurs années de bonheur, conseillera à Lucien de tenter un voyage en France pour retrouver les siens. Un projet insensé au-delà du Rideau de fer.  Après 28 ans en Union Soviétique, dont quatorze ans au goulag, Lucien retrouve un pays installé dans le confort bourgeois, une « société d’estomacs heureux » qui peut même se permettre une caricature révolutionnaire - Mai 68. Il essayera de s’y intégrer, d’imiter la vie des intellectuels que lui fait rencontrer sa nouvelle amie Julia. Il publie un livre dénonçant le régime communiste, remporte des succès, s’installe dans l’aisance matérielle, sans jamais renier ses idéaux d’autrefois.  Le dédoublement entre ses deux identités devient de plus en plus intenable et provoque, un jour, une révolte : assistant à une pièce de théâtre qui pastiche les convictions révolutionnaires de sa jeunesse, il est pris d’un coup de folie. Appréhendé et enfermé dans une clinique psychiatrique, il parviendra à s’évader grâce à l’intervention d’un ami qui lui suggère l’unique choix de salut : revenir en Russie.    Les retrouvailles avec Daria lui permettent d’échapper à la folie qui le guettait. Il a enfin l’impression d’avoir atteint cet idéal humble et fraternel qu’il a cherché depuis tant d’années. Et c’est ce bonheur simple, cette communion des êtres abîmés par la vie qu’il défendra héroïquement contre la laideur et la violence du nouveau capitalisme russe des années 90.