Quand tu écouteras cette chanson
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l’avis des lecteurs
Plaidoyer contre toutes les dictatures
Pour sa contribution à la collection «Ma nuit au musée» Lola Lafon a choisi de passer une nuit en août 2021 dans l’Annexe du musée Anne-Frank, à Amsterdam. Elle y a trouvé bien plus que les traces de la jeune fille.
Avec ce récit poignant, Lola Lafon donne une nouvelle direction à la collection imaginée par Alina Gurdiel. Délaissant les beaux-arts, elle va passer sa «nuit au musée» dans l’Annexe du musée Anne-Frank à Amsterdam. Et ce n’est pas sans une certaine appréhension qu’elle prend place dans ce lieu si chargé d’histoire, de symboles, de silences. On lui a accordé l’autorisation de passer la nuit dans ces murs à condition qu’elle respecte de strictes consignes. Et quand elle sort sa thermos de son sac, elle a déjà mauvaise conscience. Toutefois, le personnel de sécurité, renseigné par les caméras de surveillance, sera indulgent et sans doute un peu désorienté par tous ces va-et-vient dans la cage d’escalier. Car il faut d’abord s’habituer à l’espace, sentir physiquement ce qu’a pu être cette vie recluse dans ce réduit où un petit coin de fenêtre non opacifié permettait d’entrapercevoir le ciel.
Lola Lafon nous rappelle le quotidien de la famille Frank après qu’Otto, le père, ait choisi de se cacher avec sa famille plutôt que de tenter une fuite déjà très risquée. Avec le soutien de ses employés, qui se chargeaient de l’intendance, il espérait pouvoir ainsi assurer la survie des siens. Il sera le seul survivant à revenir des camps, alors même que ses filles le croyaient mort. Margot précédent de quelques jours sa cadette dans ce funeste destin. Ce livre nous permet du reste de mieux connaître l’aînée de la fratrie qui a sans doute aussi tenu un journal dont on a perdu toute trace. C’est après sa convocation devant les autorités en juillet 1942 que la décision a été prise de mettre le plan à exécution, car tout le monde savait le sort qui était réservé aux juifs raflés.
C’est du reste ce qui rapproche les Frank de la famille de Lola Lafon, «un récit troué de silences». Après avoir rappelé que leurs «arbres généalogiques ont été arrachés, brûlés, calcinés», elle explique qu’elles «sont en lambeaux, ces lignées hantées de trop de disparus, dont on ne sait même pas comment ils ont péri. Gazés, brûlés ou jetés, nus, dans un charnier, privés à jamais de sépulture. On ne pourra pas leur rendre hommage. On ne pourra pas clore ce chapitre.» Avant de conclure qu’il «y a ces pays où plus jamais on ne reviendra.»
Voici donc la Anne qui s’installe dans l’Annexe. Après s’être vêtue de plusieurs couches de vêtements, elle «choisit d’emporter ce cahier recouvert d’un tissage rouge et blanc à carreaux et orné d’un petit cadenas argenté, offert par son père» et qui sera soigneusement conservé avant d’être remis à Otto avec toutes les autres feuilles éparses qui avaient pu être rassemblées et qui permettront au survivant de proposer une première version du journal.
Après avoir retracé les péripéties des différentes éditions et traductions, la romancière nous rappelle qu’aucune «édition, dans aucun pays, ne fait mention du travail de réécriture d’Anne Frank elle-même. Le Journal est présenté comme l’œuvre spontanée d’une adolescente.» En comparant les versions, on se rend cependant très vite compte du travail d’écriture et de la volonté littéraire affichée.
Mais il y a bien pire encore que cet oubli. Aux États-Unis, on travaille à une adaptation cinématographique «optimiste», on envisage même une comédie musicale, achevant ainsi la déconstruction de l’œuvre.
La seconde partie du livre, la plus intime et la plus personnelle, se fait une fois que la visiteuse à franchi le seuil du réduit où Anne écrivait. Il est plus de deux heures du matin. Si l’émotion est forte pour Lola, c’est qu’elle peut communier avec Anne, car elle sait ce que c’est de vivre sous une dictature. Alors émergent les souvenirs pour l’autrice de La Petite Communiste qui ne souriait jamais. Alors reviennent en mémoire les mots échangés avec Ida Goldmann, sa grand-mère maternelle, la vie en famille dans le Bucarest de Ceausescu et la rencontre avec un Charles Chea, un fils de diplomate qui doit retourner au Cambodge après la prise de pouvoir des khmers rouges et avec lequel elle entretiendra une brève correspondance. C’est cette autre victime d’un système qui broie les individus qui va donner le titre à ce livre bouleversant. Et en faire, au-delà de ce poignant récit, un plaidoyer contre toutes les dictatures. Que Lola Lafon se devait d’écrire, car comme elle l’a avoué au magazine Transfuge «Je crois qu’on finit toujours par écrire ce qu’on ne veut pas écrire – et c’est peut-être même la seule raison pour laquelle on écrit.»
Dans le cadre de la très belle collection Une nuit au musée, Lola Lafon choisit le musée Anne Frank à Amsterdam, qui inclut l’Annexe où la famille Frank et cinq de leurs amis ont vécu cachés entre juillet 1942 et août 1944 où ils ont été arrêtés et déportés. Elle hésite longuement à y aller, tombe malade juste avant le départ, mais finalement y va quand même. Sa grand-mère lui a donné une médaille frappée à l’image d’Anne Frank pour ses dix ans, en lui disant de ne jamais oublier. Lola a toujours fait en sorte d’occulter ses racines juives et ce séjour l’oblige à s’y confronter, à se rappeler que son grand-père a survécu à la déportation. Mais le sujet est tabou dans sa famille comme dans de nombreuses familles de rescapés et Lola grandit dans ce silence.
La nuit est longue et blanche, très angoissante. C’est un musée très particulier car il ne célèbre pas une oeuvre mais une absence, l’annexe est vide mais le poids des absents est insupportable. Le musée moderne est relié à l’Annexe où elle passe la nuit, une des expositions est consacrée à la reproduction des photos, cartes postales et images diverses qui tapissent la chambre d’Anne. Lola s’y rend, elle ne peut se résoudre à entrer dans la chambre d’Anne et regarder les images originales, ce qu’elle finira par faire au petit matin juste avant son départ.
Le journal d’Anne Frank est très connu, mais son histoire beaucoup moins. J’ai été très intéressée par cet aspect que je ne connaissais pas du tout, j’ai toujours cru qu’il s’agissait du simple témoignage de cette jeune fille. Mais Anne rêvait de devenir écrivaine, elle a elle-même corrigé et modifié son premier jet pour en faire un texte littéraire. Elle a aussi écrit d’autres textes. Laureen Nussbaum est une des dernières personnes qui a encore connu Anne et la première à étudier son journal comme une oeuvre littéraire à part entière. Dans les années 1950, on écrit une pièce de théâtre d’après le journal, puis Hollywood en fait un film qui a reçu quatre Oscars, mais on trouve l’histoire de la jeune fille trop tragique et on lisse le texte pour en faire une oeuvre de portée plus universelle en gommant tout le contexte historique. On est au début de la construction européenne et on supprime les passages sur le nazisme, ressenti comme politiquement inappropriés dans ce contexte. J’ignorais tout de ces manipulations qui m’ont choquée, c’est comme si on la tuait une deuxième fois.
Ce livre m’a tout de suite fait penser à La carte postale d’Anne Berest, qui raconte aussi avec pudeur l’histoire de sa famille, le poids du silence et des absents. C’est à la fois un document sur Anne Frank,son histoire et celle de la famille de l’auteure qui réfléchit à ce que signifie être juive aujourd’hui. La fin est bouleversante, elle arrive enfin à aller dans la chambre d’Anne et y rend hommage à un autre adolescent qu’elle a connu et qui lui a été victime du génocide perpétré par les Khmers rouges. J’ai lu ce livre en version audio et il m’a beaucoup touchée. Un grand merci à Netgalley et Audiolib pour cette magnifique découverte. Un autre de ces livres indispensables au devoir de mémoire.
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