Les mal-aimés
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l’avis des lecteurs
Jean-Christophe Tixier prend son temps pour planter le décor de son roman. A raison, car c'est un de ses éléments essentiels.
On commence donc par un tour d'horizon de ce coin de Cévennes du début du XXème siècle, quoique le terme "horizon" n'est pas vraiment approprié, sauf si on le qualifie de "bouché"... d'ailleurs, le lieu-dit où se déroule l'action, coincé au pied d'une falaise, à l'extérieur d'une bourgade où l'on ne se rend que par nécessité, s'appelle "Le Creux".
On visite les fermes de ce hameau que l'on croirait au bout fond du monde.
Celle de Blanche et Ernest, elle la nièce trop belle pour ce trou, jalousement gardée par l'oncle qui l'a recueillie enfant. Jolie Blanche qui ne connait de l'amour que les saillies brutales que lui impose Ernest sur le dur sol de la grange, dont résultent parfois de petits "êtres-limaces" qu'elle expulse en secret.
Celle de Jeanne et Léon, où vit aussi Etienne, le gamin qu'ils ont récupéré pour garder les chèvres -Jeanne étant trop sèche pour enfanter-. Un trio qui ressemblerait presque à une famille "normale", à ceci près que le fermier tombe à bras raccourcis sur Etienne à la moindre bêtise...
Celle de "la Cruère", lingère de son état, qui complète ses maigres ressources en élevant des bâtards de l'assistance publique que lui refourgue l'instituteur contre commission.
On croisera aussi dans les parages Morluc, médecin originaire de la région, revenu de la ville, dont il se languit, pour des raisons que l'on devine obscures, ou encore Géraud, électron libre et simple d'esprit, qui a élu domicile dans les falaises bordant Le Creux.
Autre présence, intensément pesante, celle du Bagne, établissement de redressement pour mineurs, évacué dix-sept ans auparavant. Il continue pourtant d'étendre sur le Creux une ombre rendue menaçante par le poids des terribles secrets qui le lie à de nombreux habitants du coin, qui y ont travaillé, et ont tu les sévices, la malnutrition, quand ils n'ont pas été eux-mêmes des acteurs de la maltraitance infligée aux enfants...
La chape de silence dont ils ont recouvert ces événements est assourdissante de culpabilité, et surtout d'une crainte sur le point de se transformer en terreur. Car il semblerait que les enfants se vengent... des meules prennent mystérieusement feu, la jument d'Ernest tombe brutalement malade, puis c'est au tour des chèvres de Léon...
"Les mal-aimés" nous immerge dans une rusticité mesquine et brutale, aux côtés d'êtres pitoyables, répugnants. L'innocence n'a pas sa place dans cet univers régi par la cupidité, hanté par la peur du manque et la terreur du diable.
Quant aux horreurs commises derrière les murs du Bagne, elles ne sont évoquées qu'à demi-mots, le pire étant laissé à l'imagination du lecteur. Le récit en acquiert une dimension pesante, anxiogène, que le rythme lent de l'intrigue rend d'autant plus intense.
Un premier roman très réussi.
Il n’y a pas qu’aux US qu’il y a des petits blancs ou du rural noir. Si comme moi vous aviez raté Les mal-aimés de Jean-Christophe Tixier en début d’année, il est encore temps de vous rattraper.
Tout début du XX° siècle, dans une vallée perdue du sud de la France. Une poignée de familles survivent péniblement. Quelques cultures, une jument, quelques chèvres. Peu de gamins dans ce coin, alors quand l’une gagne de l’argent comme nourrice pour les gamins abandonnés, d’autres en prennent un plus grand à la maison qui sert de main d’œuvre taillable et corvéable à merci.
Une population superstitieuse qui vit dans la peur alimentée par la carcasse vide du bagne qui pèse sur tous. Une bâtisse sinistre, abandonnée depuis plus de quinze ans. Mais tous, plus ou moins, savent ce qu’il s’est passé dans cette prison pour mômes, tous savent comment ils étaient maltraités, mal nourris, au point de mourir par dizaines. Ils savent d’autant plus que plus d’un en a profité, plus ou moins directement, et que de petits fantômes décharnés les hantent. Alors tous se taisent, se suspectent, jusqu’à cet été où des drames vont ranimer les souvenirs.
Attention, c’est sombre, sombre, sombre. Malgré le soleil écrasant dans cette vallée du sud, pas un rayon de lumière, ou si peu, pour éclairer des événements sinistres, des vies étriquées et mesquines, des vies de lutte permanente contre une terre et une nature qui ne cèdent que le strict minimum pour survivre, et encore, pas toujours.
Des faibles systématiquement écrasés, exploités, violentés, et en filigrane l’histoire bouleversante de ces gamins mis au bagne des années auparavant, rendue par les incipits de chaque chapitre. Des incipits qui, par leur sécheresse et leur langue administrative implacable rendent encore plus insupportable le sort de ces gamins.
Et pourtant nul voyeurisme, aucune vulgarité dans le récit, une écriture qui arrive à garder la bonne distance, sans édulcorer mais sans en rajouter, avec quelques très rares moments de grâce et un final sans concession. Un très beau roman à condition d’accepter une telle noirceur sans espoir.
1884 : Une maison d’éducation surveillée ferme ses portes. Des adolescents décharnés quittent le bagne sous le regard des paysans qui sont aussi leurs geôliers.
Quinze ans plus tard, l’ombre du bâtiment plane toujours. Les habitants ont beau feindre de l’ignorer, les terribles souvenirs qu’il contient continuent d’étouffer leur communauté. Aussi, lorsqu’une jument se putréfie ou qu’un troupeau de chèvres est décimé par une maladie, il faut des responsables. Les habitants, tous coupables ou complices de monstruosités, s’accusent du mal qui rôde. Dans ce chaos, c’est aussi l’itinéraire de Blanche, une jeune-fille abusée par son oncle, qui tente d’échapper au fatalisme et à la violence à laquelle elle est destinée.
Nous sommes aux confins des Cévennes, là où la religion règne en maître. Là où la terre est dure et le climat rude.
Jean-Christophe Tixier place son intrigue au cœur des Cévennes, en 1884. La maison d’éducation vient de fermer ses portes. Une longue file d’adolescents décharnés quittent le bagne dans lequel ils ont soufferts pendant des années, sous le regard des paysans. C’est alors le moment pour eux de faire face aux fantôme et d’accepter leur vérité.
Les chapitres vont ainsi alterner. Il y a Blanche, l’orpheline, recueillie par son oncle Ernest qui la viole sans cesse. Elle ne compte plus les grossesses interrompues, les enfants morts-nés. Il y a aussi Léon et sa femme ainsi que leur apprenti Étienne qui redoutent par-dessus tout la malédiction des enfants morts au bagne. Il y aussi ce médecin, revenu sur ses terres natales, fuyant la ville et cherchant du réconfort dans l’alcool.
Jean-Christophe Tixier nous livre ici un roman d’une noirceur sans fond. Pas une once d’espoir à l’issue de cette lecture. Les personnages sont englués dans leurs échecs et cette vie rude qui n’offre rien. La terre est pauvre, aride. Les paysans la cultivent et suent sang et eau pour presque rien. Partagés entre une religion manichéenne et des superstitions d’un autre temps, ces hommes et ces femmes incarnent la souffrance la plus totale.
Avec ce roman noir rural, l’auteur nous brosse le portrait de personnages rudes. C’est une lecture éprouvante qui laisse entrevoir ce que l’homme a de plus sombre en lui. Que dire de La Cruere, cette femme qui s’improvise nourrice pour toucher les aides de l’État? C’est un puits noir sans fond mais d’une justesse folle. J’ai été happée par cette folie humaine, parfois par cette perversité qui m’a menée au bord de la nausée, c’est vrai. C’est d’un réalisme fort.
« Les Mal-aimés » est un roman rude qui narre des vies remplies de malheur. Un roman d’une noirceur sans fin.
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