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l’avis des lecteurs
2008, Afghanistan.
Tom Hagen, reporter allemand en "zones de conflit" -euphémisme pour des guerres qui ne disent pas leur nom- dopé à l’adrénaline, signe avec l’erreur qu’il commet en s’imposant sur le théâtre d’une prise d’otages, la fin d’une brillante carrière…
On le retrouve trois ans plus tard en Syrie puis en Israël, envoyé d’un médiocre journal du net, noyant dans l’alcool le souvenir de sa chute et ses démons. Il n’attend plus rien de bon d’une humanité gouvernée par son aptitude à la violence et son goût pour la domination, mais son cynisme et son épuisement ne l’empêchent pas d’éprouver le besoin de reconquérir ne serait-ce que quelques bribes de sa gloire défunte, quitte à renier les derniers sacro-saints commandements du journaliste que cet arrogant électron libre -qui fait davantage penser à un mercenaire qu’à un reporter- n’a pas encore bafoués…
Fin des années 20, Palestine.
Les familles Kahn et Scheinermann viennent d’émigrer depuis une Europe où ils se sentaient, en tant que juifs, de plus en plus indésirables. Les jumeaux Kahn, Jehuda et Benjamin, et le fils Scheinermann, Arik, nouent une indéfectible amitié. En nous faisant suivre leurs destinées, et celles de leurs propres descendants, jusqu’à nos jours (parce qu’il faut bien à un moment que les deux pans du récit se rejoignent) l’auteur en fera les représentants des différentes postures qu’adopteront les israéliens face aux enjeux déterminant l’avenir de leur jeune nation. L’intransigeance du futur rabbin nationaliste Benjamin s’opposera ainsi au pacifisme libéral de son frère Jehuda, colon par pragmatisme plus que par conviction. Quant à Arik, après une efficace carrière militaire, il atteindra, sous le nom d’Ariel Sharon - dont l'auteur a fait, ainsi qu'il l'explique en préambule au récit, un personnage romanesque- les plus hautes sphères de l’Etat…
Avec la relation de leurs existences et de celles de leurs proches, Franck Schätzing balaie plus de huit décennies d’histoire israélienne, et de son imbrication avec celle du Proche-Orient. Des prémisses de la naissance de l’état hébreu à 2011, où Ariel Sharon est plongé dans le coma suite à une attaque cérébrale, il déroule minutieusement les étapes du conflit israélo-palestinien, reconstitue ses mécanismes, partage les responsabilités dans l’origine et le maintien du conflit, exprime la complexité qu’ajoutent à la situation les intérêts parfois contraires au sein d’un même camp. Il décrit la mutation progressive qui fait de l’état laïc qu’était initialement Israël une nation sous l’emprise croissante du religieux, démontre l’impuissance des concessions accordées lors des efforts de paix face aux ambitions individuelles et au fanatisme d’une poignée de fous, quel que soit leur camp.
En nous faisant traverser villes en ruines et champs de batailles, en nous faisant entendre tantôt les discussions au sein des cabinets ministériels ou des bureaux depuis lesquels officient les têtes pensantes des services secrets, tantôt les confidences d’un Sharon dont les volte-face et les apparentes contradictions sont à l’image du nœud gordien qu’est la situation du Proche-Orient, il nous fait vivre la guerre comme l’insécurité quotidienne, aborde l’illustre et l’individuel, confronte la sphère intime aux contraintes géopolitiques.
En mêlant événements historiques et fiction, en projetant le destin de ses héros dans l’inextricable spirale de représailles, de terreur et de violence, il plonge dans les racines - désillusions, spoliations, injustices – des maux dont le monde subit encore aujourd’hui les répercussions.
J’ai personnellement trouvé tout ce contexte passionnant, même si la volonté d’exhaustivité et de clarté de Franck Schätzing –dont le roman est très bien documenté-, m’a parfois donné le sentiment de lire "le conflit israélo-palestinien pour les nuls". On pourrait de plus lui reprocher d’avoir inutilement étoffer son roman déjà dense (plus de 1200 pages au format poche) de l’intrigue qui, entre espionnage et aventure, met en scène Tom Hagen, mais j’ai finalement trouvé qu’elle permettait au récit de conserver un certain rythme, et de nous replacer, à intervalles réguliers, du côté de la fiction. Car pris par l’ampleur de son ambitieux projet, l’auteur a parfois tendance à engloutir ses personnages dans sa vision à portée historique, dont ils deviennent alors de simples faire-valoir. Mais lui-même a dû prendre conscience de cette propension, qu’il compense par quelques beaux passages exprimant avec justesse et même une certaine poésie les amertumes et les espérances de ses héros, leurs effondrements et leurs incertitudes, leur restituant ainsi leur palpabilité. Par ailleurs, il exploite judicieusement la dimension générationnelle de son récit, en abordant avec intelligence et sensibilité la difficulté pour les citoyens d’aujourd’hui à composer avec le lourd héritage de haine laissés par leurs aînés.
Aussi, malgré sa longueur et les légers bémols évoqués ci-dessus, je n’ai jamais trouvé ce roman fastidieux, et j’en recommande chaudement la lecture !
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